Dieudonné : « Je veux aller en prison »

Des médias au gouvernement français, en passant par une partie de l’opinion, on fustige ou nazifie « la quenelle » … Depuis plus de trois mois, ce geste est reproduit dans toute la France par des citoyens de tous âges et de toutes catégories sociales. Phénomène d’essence subversive ou « bras d’honneur » revisité sur fond de crise et de ravages socioéconomiques ? Manuel Valls et les médias mainstream ne répondront pas à cette question. Obsédé par la loi non écrite du « deux poids deux mesures », le ministre de l’Intérieur français a choisit de s’illustrer dans l’irrationnel en voulant interdire les spectacles de l’inventeur du geste : Dieudonné M’Bala M’Bala.  Humoriste antisioniste franco-camerounais. Provocateur et diabolisé depuis dix ans par les médias et la sphère politique francophones ; condamné en justice à plusieurs reprises pour « antisémitisme  et incitation à la haine raciale » sur plaintes des associations pro-israéliennes ; illégalement interdit de se produire en spectacle à Bruxelles. Depuis 2012, l’artiste controversé, dont la popularité dérange le pouvoir, refuse toute interview à la presse subventionnée. Hors la scène, il s’exprime via son site et ses vidéos dont deux ont été visionnées plus de deux millions de fois. En exclusivité, Dieudonné a accepté de répondre aux questions de FDC.

Femmesdechambre.be : Quel est votre sentiment face à l’agression récente d’un citoyen par un groupe d’individus « anti-quenelles » à Lyon ? 

Dieudonné : J’attends de voir la réponse de la justice face à ces actes criminels et de séquestration. Je m’étonne également de voir que les six coupables présumés ont directement été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Je pense rencontrer la semaine prochaine la victime de ces agressions et voir comment l’aider à organiser sa défense. Parce qu’on est tous visés par ces agressions…

FDC : S’appuyant sur un extrait de Complément d’enquête (France 2) diffusé le 19 décembre, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a annoncé vouloir interdire vos spectacles qu’il qualifie de « réunion publiques »…

D. : Tout d’abord : je pars bientôt en tournée à travers la France. La seule possibilité pour le gouvernement d’interdire mes spectacles, c’est de faire passer une loi … une loi qui porterait peut-être mon nom : bon courage ! Je ne vois pas comment on interdirait à un citoyen de travailler ?! Après le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, qui m’a soumis à une imposition fiscale démentielle et tenté de faire saisir mon bien immobilier, c’est désormais Manuel Valls qui veut m’interdire de travailler. Soit me condamner à une peine de mort sociale! On verra … Soit ils interdisent ma tournée et on fera, comme d’habitude, casser cette interdiction avec un arrêté, à la suite duquel ils devront me rembourser. Avec l’argent public, celui des Français. Je ne crois pas qu’en temps de crise, cette perspective soit très judicieuse…

FDC : Valls et les médias vous accusent à nouveau d’antisémitisme pour vous être attaqué, dans votre dernier spectacle, au journaliste Patrick Cohen en évoquant les chambres à gaz …

D. : Ici aussi, on attend la nature de la plainte… En réalité, il n’y a pas « d’affaire Cohen ». Juste un énorme bruit médiatique nourri par un amoncellement de mensonges. L’extrait de France 2 sur lequel se base cette histoire est frauduleux. L’objet du « délit » est un vol revendiqué d’images auquel ils font dire ce qu’ils veulent. J’ai confié l’affaire à mes avocats et ne vois pas comment je pourrais être condamné pour ça.

FDC : Samedi passé, Nicolas Anelka a fait « une quenelle » après avoir marqué un but en championnat d’Angleterre, provoquant la colère de la ministre française des Sports comme la possibilité d’une sévère sanction à son encontre. Votre réaction ?

D. : Avant cela, il y a eu Jean-Marie Bigard qui a fait une quenelle. Dans un moment où il ne faut pas en faire. Ça m’a touché parce que, comme moi, c’est un laborieux, un agriculteur de l’humour. Mais cela faisait des années que j’attendais notre «Mohammed Ali français ». Le voilà : il s’appelle Nicolas Anelka … Il a dit qu’il avait fait cela par amitié à mon égard. Or, pour moi, Nicolas n’est pas un ami : c’est un frère ! Ce panache est aussi lié à son histoire antillaise. Ses arrières grands-parents doivent être très fiers de lui. Faire ce geste, en ce moment très précis, c’est tout simplement héroïque. Nicolas a toujours été un nègre marron et il a rendu leur fierté à ses ancêtres. C’est notre champion !

FDC : Pensiez-vous que la quenelle prendrait, à la fois, la tournure d’un phénomène populaire et serait désigné par les élites comme un « salut nazi inversé » ?

D. : Non, pas du tout. Au départ, en 2005, c’est un geste dans un sketch… Puis, la définition a évolué (rires) … Glisser une petite quenelle, c’est une sorte de bras d’honneur au système avec une dimension, heu … dans le cul, quoi ; carotte dans le cul. Bon, on parle d’une quenelle, donc c’est un peu mou, moins violent : le truc en lui-même n’est pas très agressif. Puis, il y a une première évolution où j’ai repris le geste durant la campagne de la liste antisioniste aux élections européennes de 2009. Ce n’était pas un signe de ralliement des antisionistes à ce moment-là, mais disons que c’était une virgule supplémentaire dans cette démarche antisioniste. Et puis, selon moi, il y a eu Romain … Je parle de ce jeune garçon de 17 ans atteint d’un cancer qui nous a quitté, il y a un an. Selon moi, c’est lui qui a donné la dimension qu’il fallait à ce geste de la quenelle. Avant de mourir, Romain a été approché par l’association Make a wish (« Fais un vœu », ndlr) censée réaliser le vœu d’enfants très malades. Romain leur a demandé à pouvoir me rencontrer et l’association a refusé. La mère de Romain a donc entrepris la démarche et j’ai rencontré son fils. Le peu de temps où nous avons communiqué ensemble et partagé des moments sur  scène restent gravés dans mon esprit. Lorsqu’il a fait cette quenelle devant le scanner de l’hôpital à l’adresse de l’Institution médicale, pour moi, c’était vraiment le panache. Il a apporté à la quenelle une dimension héroïque. Face à la mort et face à la peur, eh bien : quenelle !

FDC : Ce temps passé avec Romain intervient donc avant « la diffusion virale » de la quenelle, pour reprendre l’expression médicale des médias ?

D. :  Oui, tout à fait. A l’époque je l’expliquais déjà comme cela : de mon esprit est sortie une expression et la meilleure définition que l’on peut en donner, c’est celle qu’en a donné Romain.

FDC : Il y a plusieurs facteurs d’explication à l’apparition d’un phénomène. Est-ce la crise socioéconomique qui radicalise une partie croissante des citoyens ou l’incompétence moralisatrice des gouvernants actuels qui explique le succès de la quenelle ?

D : Bon, moi, je suis un humoriste … On essaye de politiser à outrance mon discours alors que l’essentiel de mon temps, je le passe à faire rire les autres. Je vais donc essayer de limiter mon analyse à ce que je connais : c’est-à-dire que je prends le pouls de cette société dans les salles de spectacle. Je vois les sujets sur lesquels le public réagit, aime rebondir, les tabous qui sont en train de sauter. Nous sommes dans une société qui se libère d’un poids et, effectivement, la crise pousse l’opinion publique à une sorte d’appétit pour la subversion. Il y a un esprit subversif très vivant en ce moment. Et puis, cette vie qui est difficile, dans le travail, dans  l’économie, fait que les gens ont besoin d’espace, d’oxygène, de sensations de liberté. Je pense que la quenelle leur apporte ça : c’est un acte subversif qui libère. C’est un peu l’émancipation de l’esclave qui veut sortir du jeu.

Au-delà même de la crise économique, je pense que les dirigeants n’avaient pas vu la gravité de la crise de confiance. A partir du moment où vous persistez à jouer un jeu auquel les gens ne veulent plus jouer, ils n’y croient plus. Il faut inventer un autre jeu. La République et la démocratie se sont construites avec le temps. Il a fallu y croire, partager avec un maximum de gens cette utopie qu’était la démocratie. Pour un petit nombre, elle est devenue réalité mais pour beaucoup, elle ne l’a jamais été. Aujourd’hui, ce système est en crise. Personnellement, je pense que la démocratie n’a jamais existé  mais ceux qui en profitent grassement n’arrivent plus à nous faire croire que ce projet est réalisable tel quel …

FDC : Dans le film « Est-il permis de débattre avec Dieudonné ? » (2009), vous espériez « une révolution » : s’en approche-t-on aujourd’hui ?

D. : Oui, mais cette révolution ne viendra pas de ce système qui est complètement fermé. Prenons simplement le vote électronique que vous avez aussi en Belgique : il faut avoir une foi indestructible dans le ministère de l’Intérieur pour croire en la démocratie, puisque c’est ce ministère qui se charge du dépouillement virtuel. Cela n’a plus aucun sens ! Il faudrait avoir confiance. Or, nous sommes dans une période de doute absolu … Donc, cette histoire de vote électronique, il faut arrêter ça et revenir au moins au dépouillement manuel. Pour que les gens raccrochent un peu… Je pense que malheureusement ce n’est pas l’objectif. L’objectif de ceux qui nous dirigent, c’est de tenir en force ou peut-être ont-ils anticipé ce qui est train de se passer et que, finalement, cette crise sert une sorte de « guerre civile » qui leur profiterait ? En fait, la révolution, c’est Internet ! Lorsque Roger Cukierman (président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France, ndlr) essaye de m’interdire de  communiquer sur Internet, on sent bien que c’est par là que ça se passe. C’est par la toile que des millions de gens vont se rassembler et puis vont mener des actions de résistance. La révolution ? Oui, on s’en rapproche… J’ignore si on peut les qualifier de « révolutionnaires », mais on a vu qu’au départ des printemps arabes, il y avait les réseaux sociaux. La France et l’Europe n’échapperont pas à cette libération-là. En tout cas, j’y crois !

FDC : Dans le même film, vous estimiez que « les médias travaillent à leur propre disparition ». Vous persistez aujourd’hui ?

D. : Oui, il n’étaient déjà pas en forme en 2009, mais alors aujourd’hui … Je suis certainement un élément révélateur : il y a quelques années mes vidéos postées sur Youtube faisaient 100.000 ou 200.000 vues ; aujourd’hui, on dépasse le million voire plus de deux millions. En termes de visibilité, je dépasse donc certaines émissions du service public. Ce qui est amusant d’ailleurs, car les responsables de ces émissions viennent désormais me voir pour me proposer de faire des choses (rire).  Encore dernièrement, c’était Complément d’enquête (France 2). Je leur ai répondu ceci : « Venez avec vos caméras et moi, j’aurais les miennes. Vous me posez les questions que vous voulez ; moi, je vous pose les questions que je veux et puis : chacun fait son programme !». Évidemment, ils ont refusé. En conséquence, j’ai décliné toute interview et leur ai interdit l’accès à mon théâtre. Mais les responsables de ce média traditionnel ont quand même envoyé leurs journalistes filmer mon spectacle en cachette. Ils se sont fait passer pour des spectateurs, ont payé leur billet pour mieux voler des images et les recéler. Donc, j’ai mis mes avocats sur le coup et j’ai déposé plainte … Non seulement ces médias de l’ancien système s’effondrent mais en plus, ils sont fiers de leurs méthodes de voyous. Si je faisais la moitié du quart de ce que fait France 2 en volant des images, j’aurais déjà le parquet de Paris sur le dos !

FDC : De 2003 à 2012, vous acceptiez les demandes d’interviews des médias traditionnels: désormais, vous refusez de parler aux journalistes français ?

D. : Oui, je n’ai plus aucun intérêt à les aider dans leur entreprise. Mes salles de spectacle sont pleines ; je communique avec des millions de personnes grâce à d’autres réseaux. Pour moi, ils n’existent plus : je n’ai aucune raison de collaborer avec eux. Donc, quand ils viennent me voir, ils passent au guichet comme les autres. C’est 35 € la place ou moins, ça dépend s’ils ont une réduction : à priori, ils ne sont pas encore chômeurs, mais ils pourraient le devenir assez rapidement …

C’est vrai qu’ils n’apprécient pas trop ma façon de voir le journalisme parce que, selon moi, le seul journalisme qui vaille aujourd’hui est celui d’Internet. Il faut évidemment le professionnaliser pour qu’il devienne une activité normale et rentable pour ceux qui fournissent ce travail. C’est en train de se mettre en place même si c’est un peu long. Lorsque cet objectif sera atteint, je pense que ça va libérer beaucoup de journalistes du joug de ces rédacteurs en chef qui ne sont que des marionnettes du système en place.

A l’image de Benoît Duquesne, le rédacteur en chef de Complément d’enquête. Je l’ai eu au téléphone pendant environ 30 minutes, avant la diffusion de son émission (le 19 décembre, ndlr). Il m’a dit qu’il voulait bien m’inviter en plateau. Ce à quoi j’ai répondu : « Tout ce qui est montage ne m’intéresse pas ». Si ce n’est pas en direct, je n’y vais pas ! Ou alors, c’est la réciprocité : ils me filment ; mes caméras les filment et puis chacun fait son émission. Duquesne m’a alors dispensé « une leçon de journalisme, d’honnêteté et d’intégrité ». A la fin, je lui demande quel est mon intérêt de passer dans son émission ? Là, il me répond : « Eh bien, vous passerez dans une émission de qualité. C’est vrai que vous n’avez pas besoin de nous, Dieudonné – j’en suis parfaitement conscient ! -, mais il s’agit quand même d’une émission qui possède une aura de prestige et de sérieux dans sa réalisation » …

Il a donc essayé de se faire le commercial de son imposture. Non seulement, cet homme est un menteur mais il ignore qu’il appartient à un système en train de disparaître. Il est obligé, pour exister, d’envoyer une de ses équipes dans mon théâtre afin de voler des images parce que l’opinion  publique se trouve là ! Elle ne le regarde plus ! En me mentant de manière outrancière au téléphone, en venant chaparder quelques images, l’attitude  de cet homme est hallucinante.

Sans doute que Duquesne a l’impression d’avoir fabriqué un message, d’avoir répondu à une commande, mais comme d’habitude, ça va se retourner contre eux. Sur le propre site de l’émission, la plupart des internautes l’insultent, lui et ses journalistes …  Ils ont tellement quitté le sens de la réalité ; ils sont sur le terrain du mensonge et ne retrouvent plus leur chemin.